Job Caer allait au plus mal. Alité depuis plusieurs semaines, il était à l’article de la mort, dont il savait qu’elle ne figurait dignement dans aucune des éditions locales des journaux Ouest-France et Le Télégramme de Brest, sinon à la page des avis d’obsèques que son épouse refusait de lire, car, pérorait-elle, ils n’étaient pas frais puisque pas morts du jour. Depuis son lit d’agonie, soudain l’odeur d’un prodigieux gâteau breton sortant tout chaud du four titille les narines du vieux bonhomme. En bon Breton qu’il a toujours été, et bon sang de Breton ne saurait se renier, c’est son dessert de prédilection. Marahid, sa femme, avec qui il a vécu provisoirement, précise-t-il toujours, près de soixante ans, est inégalable dans la confection de cette pâtisserie emblématique de Bretagne, véritable casse-dalle capable de réveiller n’importe quel mort indigène.
Job réunit ses dernières forces, s’extrait du lit et, s’appuyant au mur, sort de la chambre. Dans un effort surhumain, il descend l’escalier en tenant la rampe à deux mains. La respiration haletante, il parvient à la porte de la cuisine. Il la pousse et entre. Sur la table, trône le chef d’œuvre culinaire, couleur blé d’or, avec ses dessins en losange tracés à la fourchette.
Le paradis ! Avant de partir peut-être en enfer, se dit-il, voilà un effort qui méritait d’être fait pour atteindre cette félicité suprême. Il pense à un acte de dévotion et d’attention de son épouse destiné à le faire quitter ce monde au comble de l’extase. Au fond, s’avoue-t-il, elle n’est pas si peste que ça. Dans un ultime ahan, il atteint la table. Un couteau y est posé. Péniblement, il le saisit, le plonge dans le gâteau doré et adoré et s’en coupe une pièce de belle tranche. La pâte est jaune comme l’herbe et les boutons d’or qu’a sûrement broutés la vache qui a donné le lait ayant servi à préparer le beurre utilisé dans la confection de cette lichouserie. Avec une délectation toute de gourmandise, Job porte le morceau de gâteau à la bouche. Il s’apprête à y planter ses vieilles mais encore solides dents et à s’en délecter quand un magistral coup de balai lui tombe sur la tête accompagné d’une féroce vocifération :
- Touche pas, nom de tui ! hurle son épouse, c’est pour après ton enterrement.
Une pâtisserie sauvée par la tradition orale.
Dans le vieux bahut de ma mémoire, qui se vermoule au fil du temps, du fond du grand tiroir de mes souvenirs gourmands, s’exhale le souvenir capiteux du gâteau breton. Le fameux gâteau breton ! Inégalable ! Incomparable ! Le katev du pardon.